12.09.2024

Adapter une création sonore au théâtre : mission impossible ?

Actualité
Camille Freychet à Avignon © Barbara Buchmann-Cotterot.

Adap­ter des œuvres dans un autre genre est un exer­cice assez cou­rant. Avec l’explosion des sup­ports mul­ti­mé­dias de nom­breuses tech­no­lo­gies ont été popu­la­ri­sées et acces­sibles à toustes, ce qui a per­mis de croi­ser et trans­gres­ser les genres, fai­sant naître de nou­velles formes d’expression de l’art. Et si on mêlait créa­tion sonore et théâtre ? Par créa­tion sonore on entend une pièce radio­pho­nique à l’i­mage d’un pod­cast. Le défi est grand et semble com­pli­qué, il s’agit de mêler l’infini du son aux limites du visuel. Pour­tant des artistes s’y risquent et jouent avec les bar­rières du théâtre pour créer un pont entre créa­tion sonore et théâtre, repous­sant les limites de ce que l’on connaît déjà.


Une nouvelle ère du théâtre

 

Dans son ouvrage Le théâtre post­dra­ma­tique de 1999, Hans-Thies Leh­mann observe une évo­lu­tion des per­for­mances théâ­trale à par­tir des années 70 – 80. Ain­si, le théâtre qui se libère des conven­tions nar­ra­tives, dra­ma­tur­giques et tex­tuelles tra­di­tion­nelles pour s’o­rien­ter vers une expé­ri­men­ta­tion esthé­tique plus large. Il met en avant la pré­sence phy­sique des acteu­rices, l’im­por­tance de l’es­pace scé­nique et des per­cep­tions sen­so­rielles, tout en redé­fi­nis­sant la rela­tion entre le public et la scène. Cette approche théâ­trale influence for­te­ment la mise en scène et la créa­tion contem­po­raine en ouvrant la voie à une mul­ti­pli­ci­té de formes d’expression, d’expériences scé­niques et de mélange des genres. On observe alors en théâtre, une nou­velle manière d’occuper la scène.

L’émergence des nou­velles tech­no­lo­gies et leur acces­si­bi­li­té a per­mis aux genres de se mélan­ger et de fusion­ner dans un même espace. Mais, com­ment trans­po­ser une créa­tion entiè­re­ment sonore à une repré­sen­ta­tion visuelle ?

Le moment de recherche est pri­mor­dial pour une adap­ta­tion de créa­tion sonore au théâtre. Pour arri­ver à mêler les deux écri­tures, un des défis est de savoir lâcher prise car le ren­du final sera sûre­ment dif­fé­rent de l’idée de base. Comme le sou­ligne Séve­rine Leroy, maî­tresse de confé­rences en études théâ­trales, on s’adresse dif­fé­rem­ment avec un micro et devant des gens « Il faut réus­sir à adap­ter le dif­fé­ré avec le direct et l’absence avec la pré­sence. Il s’agit de recom­po­ser quelque chose pour le contexte du pla­teau théâ­tral à l’université catho­lique de l’ouest, c’est une réelle réécri­ture ». Cette trans­po­si­tion de la créa­tion sonore au théâtre s’inscrit dans une recherche et une démarche expé­ri­men­tale pour expri­mer visuel­le­ment ce qui a été écrit pour les oreilles. Loin de bri­der l’imagination, une adap­ta­tion au théâtre peut ame­ner de nou­veaux élé­ments indi­cibles en radio. « La ques­tion du silence est inté­res­sante dans cette trans­po­si­tion. En radio, il est dif­fi­cile voire impos­sible de faire naître ce silence, alors qu’en pla­teau le silence existe et est même une écri­ture », ajoute Séve­rine Leroy.

 

L’adaptation en pratique

 

Mal­gré les dif­fi­cul­tés à mettre en scène l’imaginaire, Camille Frey­chet s’y essaie aujourd’hui. Cette acteu­rice est la lau­réate 2022 du Farc avec sa créa­tion sonore Ouvrir la brèche, qui est à décou­vrir sur Radio­la. Avec la réa­li­sa­trice sonore Maïa Blon­deau, elles cherchent ensemble à adap­ter cette créa­tion au théâtre et essaient, selon l’expression de Camille, « d’apporter du corps dans le son ».  Avec l’in­fluence du théâtre post­dra­ma­tique, les sta­tuts d’acteurs et de met­teurs en scène sont redé­fi­nis et s’ajoutent à la trans­gres­sion des genres. Les rôles de chacun.e ne sont plus indé­pen­dants et viennent même à se confondre. C’est ce à quoi Camille et Maïa se risquent pour l’écriture de leur pièce de théâtre « On tra­vaille ensemble pour pou­voir mettre en scène cette créa­tion sonore, c’est sur­tout en jouant qu’on arrive à déblo­quer des choses. On joue la scène, on se répond et on se sur­prend. Ce sont ces endroits de sur­prises qui amènent à créer un lien entre théâtre et radio. Comme on dit au théâtre : c’est le pla­teau qui donne rai­son, alors on le fait pour voir si ça fonc­tionne ». Y’a brû­ler et cra­mer phase B, c’est de nom de leur adap­ta­tion théâ­trale en cours, une pièce entre road trip, outing et cica­trices : les endroits invi­sibles et indi­cibles. Un défi de plus pour la repré­sen­ta­tion théâ­trale.

Un autre aspect que Camile prend en compte dans l’adaptation de sa créa­tion sonore est l’art comme prise de posi­tion. « L’art c’est un endroit poli­tique et être artiste c’est prendre par­ti selon moi. C’est impor­tant que l’adaptation au théâtre marque une prise de posi­tion comme celle de la pièce sonore. Comme je le dis dans Ouvrir la brèche, y’a pas de petites résis­tances », expose-t-elle. Pour le moment, elles sont toutes les deux en réflexion et l’adaptation de la créa­tion sonore sur la scène est encore en cours.

 

Dans une créa­tion sonore, l’i­ma­gi­na­tion est sans limite. Avec les sons et la voix, aucune contrainte n’existe. On est trans­por­té dans des uni­vers paral­lèles, dans mille décors et tem­po­ra­li­tés dif­fé­rentes. A l’inverse au théâtre, on est limi­té par l’es­pace, par le temps. Pour­tant, comme nous le montre certain.es artistes, l’adaptation est pos­sible et même enri­chis­sante par rap­port à l’œuvre ori­gi­nale, si on sait prendre une dis­tance avec l’i­dée de départ. Si vous sou­hai­tez voir et écou­ter ce que donne une adap­ta­tion de ce genre, des créa­tions sonores dis­po­nibles sur Radio­la ont déjà été adap­té au théâtre. Il s’agit de Beaux Jeunes Monstres et Pilet­ta Louise, toutes deux du Col­lec­tif WOW !. Vous pou­vez retrou­vez les bandes annonces des adap­ta­tions théâ­trales des deux pièces sur le site inter­net du col­lec­tif.

 

Ali­cia Séné­chal
© Bar­ba­ra Buch­mann-Cot­te­rot.